Votre nouveau thriller, L’Île du Diable, commence là où vous aviez laissé votre héroïne, l’inspectrice Sarah Geringën, dans Complot : en très mauvaise posture, au fond d’une prison… Que faisait-elle derrière les barreaux ?
Derrière les barreaux, Sarah paie pour cette audace et ce jusqu’auboutisme qui la caractérisent. Dans le métier, elle est reconnue pour être une inspectrice froide, taiseuse, mais d’une efficacité redoutable qui la place parmi les meilleurs de son pays. C’est pour cette raison que le gouvernement avait fait appel à elle pour retrouver l’assassin de la Première ministre dans Complot. Mais au moment le plus intense de son enquête, Sarah a causé la mort d’un innocent qu’elle voulait sauver. Les circonstances de l’événement étant floues, elle est incarcérée le temps de l’enquête, rongée par les remords et sa rupture avec l’amour de sa vie.
Sarah se retrouve confrontée à un meurtre qui va l’ébranler au plus profond de son être, réveillant la douleur d’un passé aux multiples zones d’ombre…
Quand elle apprend le meurtre de son père, Sarah est persuadée qu’il s’agit d’un cambriolage qui a mal tourné. Son père était un homme calme et sans histoires. Mais en découvrant la terrifiante mise en scène du crime, elle comprend qu’il n’était pas l’homme qu’il prétendait être. Son corps est recouvert d’une mystérieuse poudre blanche, les extrémités de ses membres sont gelées jusqu’à la gangrène et son visage n’est qu’un rictus de souffrance. Plus étrange encore, le légiste retrouve une clé au fond de son estomac. Qu’ouvre-t-elle ? Qu’est-ce que son père a pu commettre de si terrible pour mériter une telle mort ? Découvrir que l’un de nos proches n’était pas la personne que l’on pensait est certainement l’expérience qui m’angoisse le plus. Surtout si cette part d’ombre a des répercussions sur nous… Je pense notamment à Psychose ou à l’affaire Romand racontée par Emmanuel Carrère dans L’Adversaire et portée à l’écran dans le film du même nom. Cet homme qui, pendant dix-huit ans, a fait croire à sa famille qu’il était médecin à l’OMS alors qu’il passait ses journées dans sa voiture, avant de tuer tous ses proches par peur qu’ils découvrent la vérité.
Votre thriller est une incroyable affaire de vengeance. Un plat qui se mange très, très froid… Et qui nous ramène à un fait historique aussi glaçant que méconnu. Que pouvez-vous dire de cette histoire sans dévoiler l’intrigue ?
Un jour, j’aidais des amis à déménager une petite bibliothèque municipale. Un ouvrage d’histoire avait été oublié sur une étagère et quand j’ai vu son titre terrifiant, je l’ai tout de suite pris. Le livre racontait dans le détail un événement terrible qui s’est déroulé quelque part sur le continent européen dans les années 1930. Les faits étaient si effroyables que j’étais persuadé de les retrouver dans tous les livres d’histoire et une multitude d’articles. Et en fait rien ! Il est sidérant qu’une telle affaire ne soit pas mondialement
connue. D’autant que ce qu’il s’est passé là-bas a forcément laissé des marques profondes dans notre mémoire collective.
Comme dans vos précédents thrillers, l’histoire interroge notre humanité, les mystères de notre âme, en s’appuyant sur des connaissances scientifiques que vous prenez plaisir à nous faire partager. Cette fois, vous évoquez les troubles de la personnalité, et de manière plus surprenante, les mécanismes de l’épigénétique. De quoi s’agit-il ?
C’est une révolution dans l’histoire de l’humanité, et je pèse mes mots. Depuis peu de temps, nous avons la preuve scientifique que notre mode de vie, notre alimentation, nos stress modifient notre ADN. Avant, on pensait que notre code génétique était fixe pour la vie. Eh bien, on sait aujourd’hui que l’expression de nos gènes va être modulée en fonction de ce que nous faisons au cours de notre existence. Et ça devient encore plus vertigineux : ces modifications peuvent se transmettre à nos descendants. Ce qui veut dire que nous sommes tous porteurs des événements forts y compris des traumatismes subis par nos ancêtres. Notre vie peut en être détruite, alors même que nous n’avons pas vécu ces événements, ou en ignorons l’existence. L’étude la plus connue est celle du Mount Sinaï Hospital à New York qui porte sur la transmission du traumatisme de l’Holocauste. Les chercheurs ont étudié la production de cortisol (l’hormone qui permet de gérer le stress) de trente-deux hommes et femmes juifs qui ont tous été déportés ou qui ont fui les persécutions nazies. Ils ont comparé ces résultats à ceux obtenus sur des hommes et femmes juifs qui n’avaient pas été exposés directement à l’Holocauste. Les survivants de l’Holocauste avaient tous un taux de cortisol beaucoup plus bas que le groupe témoin, autrement dit une forte propension à se laisser envahir par le stress. Et l’étude prend toute sa dimension lorsque l’on sait que la différence est la même chez les enfants des deux groupes : les descendants des survivants ont un taux de cortisol bien plus bas
que la moyenne, comme si, au fond, ils naissaient déjà angoissés à cause d’événements qu’ils n’ont pas vécus.
À la fin du livre, on comprend enfin la personnalité complexe de votre héroïne. L’Île du Diable semble clore une trilogie. Est-ce le cas ?
En tant qu’enquêtrice, Sarah est une femme qui se bat pour la vérité, mais en réalité, elle se bat surtout contre elle-même. Dévorée par une culpabilité dont elle ignore l’origine, elle se noie dans le travail, espérant réparer une faute impalpable. Tout cela en aspirant désespérément à fonder une famille. Dans ce dernier acte, Sarah va être repoussée dans les ultimes retranchements de son inconscient. Que va-t-elle y découvrir ? La délivrance à laquelle elle aspire ou une vérité qui va la détruire ? Son déchirement est aussi le nôtre : nous devons tous avancer malgré les traumas que nos parents nous ont transmis. La bataille psychologique que Sarah mène avec elle-même résume selon moi la question qui oriente chaque vie : jusqu’où on veut/peut être libre. Et comme j’aime que le lecteur soit surpris jusqu’à la dernière ligne de mes romans, il vous faudra attendre les toutes dernières pages pour découvrir la révélation finale de cette histoire. Sarah va devoir y faire un choix lourd de conséquences. Et je pense que vous vous demanderez tous ce que vous auriez fait à sa place.
Scénariste, vous vous êtes imposé en très peu de temps comme un auteur majeur dans le monde des thrillers. Comment vivez-vous ce succès ?
Je constate avec un immense bonheur que mes histoires plaisent à un large public et j’ai cette chance (que les scénaristes n’ont que très rarement) d’entendre mes lecteurs me dire combien ils ont été emportés et marqués par mes romans. C’est presque intimidant de mesurer l’impact que votre histoire a sur la vie d’une lectrice ou d’un lecteur. Mais c’est aussi cela qui attise la flamme créatrice et l’envie de surprendre. Comme ce sera à nouveau le cas dans mon prochain livre.