Une enquête qui nous mène de l’Écosse vers les profondeurs de la Forêt-Noire en Allemagne et la Suisse enneigée. Comment procédez-vous pour rendre si réaliste l’atmosphère des lieux que vous décrivez ?
C’est une question qui divise (gentiment) les auteurs que je connais. Certains optent pour la méthode journalistique qui consiste à aller sur les lieux de leur intrigue pour être au plus proche de la réalité dans leur écriture. En procédant ainsi, je crains personnellement de me laisser submerger par la documentation et de noyer mon intrigue sous une accumulation de détails que je voudrais « absolument » placer. Je fonctionne donc différemment. Je me renseigne sur les lieux via des livres, des photos, des témoignages, j’écris à des blogueurs pour leur demander de me parler des odeurs, des bruits qu’ils ont entendus… Et je m’arrête avant de trop en savoir afin de me sentir libre d’y ajouter un zest d’imaginaire. Il me semble qu’en tant que romancier, mon but n’est pas de vous décrire les lieux tels qu’ils sont vraiment mais de vous donner l’impression que vous y êtes.
Dans votre thriller, vous revisitez le mythe du conte de Grimm Le Joueur de flûte de Hamelin en le plaçant au cœur de l’enquête de Grace Campbell. Comment vous est venue cette idée ?
Le conte du joueur de flûte est celui qui m’a le plus traumatisé dans mon enfance. Je ne savais pas trop pourquoi jusqu’à ce que je me rende compte récemment une chose : un, il se finit mal et, deux, c’est presque le seul conte qui ne contient aucun élément magique ou fantastique. Cendrillon a sa fée, le petit chaperon rouge le loup qui se déguise, le petit poucet un ogre, Hansel et Gretel une sorcière… Dans l’histoire du joueur de flûte, la narration est sèche, factuelle et donc cruellement réaliste. Cela m’a donné envie d’en savoir plus sur son origine et c’est là que j’ai découvert avec stupeur que le village d’Hamelin gardait dans ses registres médiévaux une trace de la disparition subite de cent trente enfants… Il fallait que je raconte cette histoire.
Comme dans vos précédents romans, vous vous appuyez sur les faits réels pour dépeindre la part sombre de l’humanité. Comment avez-vous procédé pour réaliser cet important travail de recherche ?
Le fait réel que vous évoquez ici est le scandale pédophile le plus révulsant et pourtant, je n’en avais jamais entendu parler avant de tomber dessus par hasard lors de mes recherches pour nourrir le passé de mon héroïne Grace Campbell. Il s’agit de l’affaire allemande de ce que l’on a nommé le « projet Kentler » : pendant plus de trente ans, les services sociaux de Berlin ont sciemment placé des enfants abandonnés chez des pédophiles au prétexte qu’ils seraient forcément aimés par leur parent d’adoption. Le fait est si fou que j’ai cru un moment que c’était un fake. Malheureusement non. Il y a eu deux rapports universitaires sur ce phénomène. En plus de les avoir lus attentivement, j’ai aussi contacté l’un de leurs auteurs qui disait qu’il était encore difficile de mesurer l’ampleur du scandale puisque les administrations berlinoises empêchaient encore aujourd’hui l’accès à plus de mille dossiers sur cette affaire. Je voulais savoir comment il progressait dans son enquête. Mais je n’ai pas eu de réponse. Et je peux le comprendre, c’est un sujet très délicat et qui, de ce que l’on commence à savoir, pourrait remontrer très haut. Ce que je ne m’explique pas en revanche, c’est qu’aucun journaliste d’investigation n’ait creusé cette histoire à fond pour en révéler toute l’ampleur. En France, on a eu deux ou trois articles le jour de la communication du rapport allemand et puis plus rien… Alors que c’est tellement énorme. Donc pour répondre précisément à votre question, j’ai travaillé sur ce sujet avec l’âme du journaliste qui veut que l’on sache que le pire peut être commis avec l’aval et même le soutien d’administrations censées veiller sur nous et nos enfants.
Retrouverons-nous Grace Campbell dans votre prochain roman ?
Depuis Le Dernier Message, ce cycle a été pensé pour être une trilogie qui, petit à petit, dévoile les secrets de Grace et les intentions masquées de la gigantesque société Olympe. Il me faut ce temps pour que le lecteur prenne la mesure du basculement de notre monde que j’essaye de raconter à travers des enquêtes aussi addictives que possible. Le Passager sans visage apporte, je crois, des réponses intéressantes… Mais la fin du livre devrait en faire bondir plus d’un. Et j’espère bien plus d’impatience que de frustration. Ne pas répondre à cette attente que j’ai moi-même créée me vaudrait quelques soucis avec les lecteurs…
Comment vivez-vous votre entrée dans la cour des très grands du polar et du thriller français avec 1 million d’exemplaires vendus à ce jour ?
Je me souviens qu’il y a cinq ans, je fêtais mon seuil des dix mille exemplaires vendus sans parvenir à y croire. Mais j’avoue que le chiffre symbolique de 1 million est irréel. Alors imaginez maintenant… Cela dit, mes filles ont le talent de me faire revenir sur terre en me rappelant qu’il n’y a pas lieu de s’emballer quand on sait, par exemple, que J.K. Rowling (l’auteur de Harry Potter) a vendu 450 millions de livres. Le vrai bonheur, c’est d’écrire ce qu’on aime avec sincérité et passion et de voir que ça apporte du plaisir à beaucoup de gens. À chaque livre je suis toujours surpris et touché par l’attente des lecteurs. Je suis très impatient d’aller à leur rencontre.